THE THIN MAN – 1934 – W.S. Van Dyke
The Thin Man (L’Introuvable, 1934, W. S. Van Dyke)
Un polar élégant, une comédie raffinée et un couple mythique du cinéma hollywoodien. Cet épisode de Bobards sur Bobines explore The Thin Man, film de 1934 réalisé par W. S. Van Dyke pour la MGM, adapté du roman de Dashiell Hammett. Entre mystère, humour et glamour, une œuvre qui a marqué un tournant dans l’histoire du cinéma américain.
I. Un couple, un chien et un mystère
On dit souvent que le charme du vieux cinéma, c’est la poussière du temps qui s’y dépose. Mais dans The Thin Man (L’Introuvable, 1934), ce charme a quelque chose d’étincelant, presque liquide, comme un gin bien servi dans un verre en cristal. Sous le vernis de l’élégance, couve une histoire de disparition, de mensonges et de cadavres discrets.
Réalisé par W. S. Van Dyke pour la MGM, le film adapte fidèlement le roman éponyme de Dashiell Hammett, publié la même année. Hollywood, alors friand de littérature pulp, découvre dans cette histoire l’occasion de mêler polar et comédie. Mais Van Dyke, lui, préfère la brillance à la rugosité : il polit le mystère pour en faire un divertissement sophistiqué.
Et au centre, un trio devenu légendaire : William Powell, Myrna Loy et Asta, le fox-terrier cabotin. Ensemble, ils transforment le meurtre en jeu mondain, l’enquête en danse de salon.
II. Le charme discret du couple Charles
Il y a des duos qui traversent les décennies comme des amis qu’on n’oublie jamais. Nick et Nora Charles en font partie : un couple uni par l’humour, l’intelligence et la tendresse. Lui, l’ironie en coin ; elle, la vivacité et la malice. Dès leurs premières répliques, le ton est donné : un couple moderne, complice, à égalité.
William Powell et Myrna Loy forment ici l’un des tandems les plus iconiques d’Hollywood. Leur complicité repose sur une alchimie rare, captée sans artifice. Légèreté, vivacité, ironie : tout sonne juste. Leur duo reflète une image inattendue du mariage, à la fois joyeuse et subversive pour l’époque.
Et puis, il y a Asta – interprété par Skippy, le chien-star d’Hollywood. Véritable troisième personnage, il adoucit les tensions, déclenche les rires et, à sa manière, participe à l’enquête. Sa présence renforce la chaleur du film, et symbolise cette part d’humanité que Van Dyke glisse au cœur de sa comédie policière.
III. Un polar sous influence : Hammett et Hollywood
The Thin Man n’est pas une simple adaptation du roman de Dashiell Hammett : c’est une transformation. Le récit sombre du livre, empreint de corruption morale et de violence, devient à l’écran une comédie brillante et raffinée. Les scénaristes Frances Goodrich et Albert Hackett réinventent le ton, troquant la dureté du roman pour l’esprit et la légèreté.
Nick Charles, détective désabusé dans le livre, devient ici un dandy ironique. Nora passe du rôle d’épouse complice à celui de partenaire d’enquête. Le tout baigne dans cette atmosphère pré-Code Hays, où l’esprit prime sur la morale.
IV. Le miracle Van Dyke : filmer vite, filmer juste
On surnommait W. S. Van Dyke “One Take Woody”. Son efficacité était proverbiale : The Thin Man fut tourné en seulement seize jours, sans perte de naturel ni de cohérence. Ce rythme imposé donne au film son énergie : rien n’est figé, tout paraît spontané.
Sa mise en scène se distingue par sa sobriété. Van Dyke ne surligne rien. Il laisse la caméra observer, capter l’esprit des acteurs. L’effet de réel provient de cette confiance dans le jeu et la parole. Cette légèreté formelle deviendra une marque de fabrique.
Le directeur de la photographie, James Wong Howe, sublime l’ensemble. Sa lumière caresse plus qu’elle n’écrase. Loin des ombres expressionnistes à venir, il éclaire les visages et les intérieurs Art déco, transformant le mystère en élégance. Le crime se niche désormais sous les lustres, et non plus dans les ruelles sombres.
V. Réception critique et héritage
À sa sortie en mai 1934, The Thin Man séduit instantanément. Le New York Times loue sa vivacité, Variety salue son équilibre parfait entre humour et mystère. Avec un budget de 230 000 dollars, il en rapporte plus de 1,4 million à la MGM : un succès colossal.
Le film décroche quatre nominations aux Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur (Powell) et meilleur scénario adapté. Aucune statuette, mais une consécration symbolique. La MGM lance aussitôt une franchise : six suites verront le jour, prolongeant le plaisir du couple Powell–Loy.
En France, le film sort sous le titre L’Introuvable. Les sources contemporaines sont rares, mais les critiques postérieures y verront une curiosité charmante : un polar américain traité comme une comédie. Le film est aujourd’hui classé au National Film Registry (1997) pour sa valeur culturelle et esthétique.
VI. Ce que The Thin Man dit encore aujourd’hui
Revoir The Thin Man aujourd’hui, c’est redécouvrir la modernité d’un couple qui se parle d’égal à égal. Nora n’est pas simple spectatrice : elle agit, enquête, ose. Une représentation rare pour le cinéma de 1934. Sans être révolutionnaire, cette complicité intelligente annonce déjà les couples modernes du grand écran.
Le film fascine aussi par son ton. Ni tragique, ni naïf, il avance sur le fil du rire. Van Dyke refuse la gravité : il fait de l’humour un art de vivre, une manière de tenir le monde à distance. Cette élégance ironique est peut-être la raison pour laquelle le film conserve toute sa fraîcheur.
De Woody Allen à Rian Johnson, nombre de cinéastes reconnaissent aujourd’hui leur dette envers ce film : la fusion du mystère, du charme et de l’intelligence en un seul mouvement. Un modèle d’équilibre, encore imité, rarement égalé.
VII. Un gin sec, deux olives et un sourire
Certains films vieillissent comme des souvenirs, d’autres comme des alcools rares. The Thin Man appartient à la seconde catégorie. Sa légèreté, sa vivacité et son humour n’ont rien perdu de leur éclat. Il respire encore la grâce des films qui ne forcent rien.
Powell et Loy y incarnent un idéal de couple complice, intelligent, drôle. Leur duo ne repose pas sur le mystère, mais sur l’élégance du regard, la connivence du verbe. Et au milieu, Asta, le chien, qui observe tout et rappelle que l’amour, même dans le polar, peut rimer avec sourire.
Presque un siècle plus tard, le film reste une leçon d’équilibre. Le mystère est élucidé, mais la grâce demeure. Comme un gin sec, deux olives… et un sourire.
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