Intrigue (1947)

Un Film Noir Compromis
*Intrigue* (1947) est un artefact fascinant : un film qui adopte l’esthétique sombre du film noir tout en la vidant de son âme pessimiste. Produit par sa star, George Raft, pour relancer sa carrière, le film est un cas d’étude sur les compromis artistiques et les pressions commerciales de l’Hollywood d’après-guerre.
Réalisateur
Edwin L. Marin
Scénario
George Slavin
Acteurs Principaux
G. Raft, J. Havoc
Genre
Film Noir / Aventure
L’Ambition et le Compromis de Star Films
Le film est né de l’ambition de George Raft de contrôler sa carrière, mais a été sapé par une décision cruciale qui a édulcoré son propos et scellé son destin.
Genèse : Star Films Inc.
En 1946, George Raft, sur le déclin, co-fonde Star Films pour produire ses propres films. Avec un crédit de 5 millions de dollars, l’ambition est immense. *Intrigue* doit être la vitrine de cette nouvelle indépendance.
Le Changement Fatal
Le scénario original portait sur un trafic de plasma sanguin, un sujet sombre et puissant. Cependant, à la demande d’organisations sino-américaines, le plasma fut remplacé par du whisky et des cigarettes.
« Beaucoup plus excitant »
« Si nous avions pu conserver l’idée originale, cela aurait été beaucoup plus excitant. »
– George Raft
Ce compromis a transformé un drame moral potentiellement poignant en une simple aventure de contrebande, privant le film de sa gravité et de son noyau thématique.
Les Protagonistes : Un Trio Archétypal
Cliquez sur un personnage pour découvrir son analyse.
Brad Dunham
George Raft
Le héros noir repenti. Initialement cynique, le scénario le transforme en héros de guerre injustement condamné. Son arc de rédemption est simpliste, sapant la complexité attendue d’un protagoniste de film noir pour en faire un véhicule héroïque pour Raft.
Tamara Baranoff
June Havoc
La femme fatale. Chef du réseau de marché noir, elle incarne la corruption et la tentation. Cependant, ses motivations (argent, jalousie) sont transparentes et sa mort accidentelle affaiblit la résolution morale du film.
Linda Arnold
Helena Carter
L’ingénue morale. L’assistante sociale qui représente la pureté et la conscience. La performance d’Helena Carter fut unanimement saluée comme le point fort du film, apportant une lumière et une intelligence qui contrastent avec le reste.
Noir ou Pas? La Dualité du Film
*Intrigue* emprunte le style du film noir, mais en rejette l’esprit. C’est un film en guerre contre lui-même.
Les Codes du Genre Respectés
- Photographie en clair-obscur : Ombres marquées et contrastes forts pour une atmosphère de danger.
- Cadre urbain corrompu : Le Shanghai d’après-guerre, lieu de tous les trafics.
- Anti-héros cynique (au début) : Un homme désabusé qui met ses talents au service du crime.
- Femme fatale : Tamara Baranoff, la séductrice manipulatrice.
Les Entorses à la Tradition
- Fin heureuse : Rédemption totale du héros et romance, à l’opposé du fatalisme noir.
- Absence d’ambiguïté morale : Le héros est fondamentalement bon, les méchants sont clairement définis.
- Manque de noirceur : Le trafic de cigarettes édulcore la menace et la gravité de l’intrigue.
- Sentimentalisme : L’insistance sur les orphelins injecte un pathos étranger au cynisme du genre.
L’Échec : Critique et Commercial
Si la critique fut divisée, le public, lui, a rendu un verdict sans appel. Le film fut un désastre financier qui a coulé Star Films.
Comparaison des recettes/locations domestiques en 1947 (en millions de dollars).
Face-à-Face : Intrigue vs. Le Troisième Homme
La comparaison avec le chef-d’œuvre de Carol Reed (1949) révèle tout ce qui manque à *Intrigue* pour être un grand film noir.
| Thème | Intrigue (1947) | Le Troisième Homme (1949) |
|---|---|---|
| La Contrebande | Whisky et cigarettes. Un crime de luxe sans grande portée morale. | Pénicilline frelatée. Un crime atroce causant la mort d’enfants. |
| Le Héros | Brad Dunham. Un « bon gars » qui se rachète facilement. | Holly Martins. Un naïf forcé à une douloureuse prise de conscience morale. |
| Le « Méchant » | Tamara Baranoff. Une femme fatale aux motivations simples. | Harry Lime. Un antagoniste charismatique à la philosophie du mal fascinante. |
| Le Décor | Un Shanghai de studio, exotique mais artificiel. | Les véritables ruines de Vienne, un personnage à part entière. |
| La Conclusion | Optimiste. Rédemption et romance. | Cynique et sombre. Perte et désillusion. |

