Quand le polar s’engage — et dégage

Publié en 1972 dans la prestigieuse Série Noire de Gallimard, Nada de Jean-Patrick Manchette n’est pas un polar comme les autres. Il s’agit d’un texte fondateur du néopolar français, ce courant littéraire qui dépouille le roman noir de ses oripeaux exotiques pour le plonger dans la crasse sociale, la violence politique, et la mécanique froide de l’État.

Avec Nada, Manchette ne cherche pas à distraire le lecteur : il lui tire dessus. Et ce qu’il vise, ce sont les illusions militantes, les automatismes policiers, et le cynisme ambiant d’une France post-soixante-huitarde en pleine gueule de bois.

L’intrigue : opération ratée et fatalité programmée

Le pitch de départ pourrait tenir sur un tract révolutionnaire : un petit groupe d’ultragauche, surnommé « Nada », décide de frapper fort en enlevant l’ambassadeur des États-Unis à Paris.

Le lieu du rapt : un bordel discret du quartier Pigalle, choisi pour sa confidentialité. Le but : faire entendre une voix politique radicale, par un geste spectaculaire. Mais très vite, le plan se grippe. L’action, bien qu’anticipée, déraille.

Et la traque policière, menée par l’implacable inspecteur Goémond, s’abat sur le groupe comme un rouleau compresseur. La violence monte d’un cran. Le sang coule. L’État frappe sans retenue. Et ce qui devait être un coup d’éclat finit en carnage sans gloire, classé parmi les faits divers.

Des personnages cabossés, sans héros

Chez Manchette, personne n’est épargné. Pas les militants — idéalistes mais désorganisés. Pas la police — brutale, méthodique, presque inhumaine.

• Buenaventura Diaz : anarchiste espagnol fatigué, qui se bat par loyauté plus que par conviction.
• Veronica : institutrice armée, romantique et dévouée à sa cause.
• Treuffais : ouvrier syndicaliste désabusé, pragmatique, inquiet.
• Meyer : médecin alcoolique et instable, sympathisant de gauche en quête de sens.
• Goémond : inspecteur à la Crim’, figure du pouvoir répressif, expéditif, froid.

Pas de détective, pas de héros. Juste des êtres jetés dans la tourmente, chacun prisonnier de ses certitudes ou de son impuissance.

Un style chirurgical, sans pathos

Le style de Manchette dans Nada est sec comme un ordre militaire. Pas de fioritures. Pas d’états d’âme. Les phrases sont courtes, tranchantes. Le rythme, implacable.

Le narrateur reste distant, presque clinique, mais laisse filtrer une ironie glacée. Une manière d’écrire qui influence encore aujourd’hui bon nombre d’auteurs contemporains du polar social.

Une critique politique en embuscade

Nada est aussi un roman politique, au sens fort. Tout, dans ce roman, interroge l’ordre établi :

• la désorganisation de l’ultragauche, minée par ses contradictions,
• la brutalité sans scrupules de l’appareil d’État,
• l’effondrement d’un idéal collectif dans la violence aveugle.

Manchette refuse la morale facile. Il ne sanctifie pas les militants, ne diabolise pas les flics. Il montre simplement, avec froideur, comment chacun joue son rôle dans une tragédie écrite à l’avance.

L’héritage de Nada

À sa sortie, Nada fait l’effet d’une détonation. Il secoue le petit monde du polar français, encore englué dans les clichés américains. Il inaugure une série de romans que Manchette poursuivra avec L’affaire N’Gustro, Le Petit Bleu de la Côte Ouest, ou encore La Position du tireur couché.

Le roman a été adapté au cinéma en 1974 par Claude Chabrol, avec Fabio Testi et Michel Duchaussoy dans les rôles principaux.

À écouter : l’analyse complète dans Chronique Noire

🎧 Dans l’épisode 8 de notre podcast Chronique Noire, Mike Rétro vous entraîne au cœur de l’affaire Nada. Une enquête en six temps, pour disséquer cette tragédie politique sans illusion :

• Introduction
• Repérage
• Filatures
• Interrogatoires
• Reconstitution
• Bouclage & Conclusion

📅 Épisode disponible ce vendredi à 20h30 sur toutes les plateformes.

Et vous ?

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