Crack-Up (1936)
Crack-Up (1936)
Crack-Up, réalisé par Malcolm St. Clair en 1936.
🎥 Repérage
En 1936, l’industrie cinématographique hollywoodienne est dominée par les comédies burlesques et les films sur le crime organisé. Et pendant que les grosses machines tournent, la 20th Century Fox sort Crack-Up, réalisé par Malcolm St. Clair. Dans ce film, Brian Donlevy incarne un pilote d’essai, Ace Martin, tandis que Peter Lorre, inquiétant à souhait, campe le personnage du colonel Gimpy. L’intrigue tourne autour d’un complot visant à saboter un avion, de traîtrise et de mystères industriels jalousement protégés. Série B ? Oui. Mais tendue comme une aile d’avion en piqué.
🕵️ Filatures
Ace Martin est accusé d’avoir saboté un prototype de bombardier. Pourtant, derrière cet accident, on trouve des espions, des faux-semblants, ainsi qu’un certain Gimpy, qui tire les ficelles. Le film dégage une atmosphère typique de l’Amérique pré-guerre, avec en toile de fond une trahison glaciale, mais sans drapeaux ni slogans. Le vrai sujet : la loyauté, la rédemption, et la manipulation à grande échelle. Une histoire de chute et de rattrapage moral.
🎤 Interrogatoires
Brian Donlevy incarne Ace Martin, pilote d’essai tiraillé entre son passé militaire et ses compromissions présentes. Donlevy, qui venait tout juste d’asseoir son image de dur à cuire dans des films comme Barbary Coast (1935), apporte ici une rigueur physique, presque militaire. Il joue avec sobriété, sans effet de manche, parfait dans le rôle d’un homme ordinaire pris dans un engrenage qui le dépasse. Sa carrure donne du poids à son personnage, et son regard inquiet en dit souvent plus que les lignes du script.
Mais c’est bien Peter Lorre qui marque les esprits. Déjà connu pour son rôle culte dans M le Maudit (1931) et ses apparitions inquiétantes dans The Man Who Knew Too Much (1934), il interprète ici un espion glacial sous le pseudonyme de “Colonel Gimpy”, alias Baron Tagger. Lorre excelle dans l’ambiguïté : tout en rondeurs et en sourires mielleux, il donne à son personnage une menace feutrée, insidieuse, presque douce. Il incarne le traître non pas brutal, mais intellectuel — celui qui manipule plus qu’il ne menace.
Quant aux seconds rôles, Celia Lovsky (épouse de Lorre à l’époque, bien que non présente ici), Douglas Dumbrille et John Gallaudet, ils servent parfaitement la mécanique du récit. Pas de surjeu, pas d’excès. Juste des figures d’autorité, des techniciens froids, et des visages de confiance qui glissent peu à peu dans le doute. La direction d’acteurs de Malcolm St. Clair reste dans l’économie : ici, on ne joue pas, on exécute — comme dans un plan bien huilé.
🧩 Reconstitution
La mise en scène de Malcolm St. Clair, réalisateur habitué des comédies dans les années 20 et 30, surprend par sa rigueur dans un registre plus tendu. Loin de ses collaborations passées avec Buster Keaton ou Laurel et Hardy, St. Clair opte ici pour un traitement sobre, quasi documentaire, à la limite du film de propagande technique. Chaque plan est pensé pour l’efficacité narrative : pas de flamboyance, mais une tension continue.
La photographie est assurée par Barney McGill, vétéran de la Warner (Captain Blood, The Big House). Son travail ici est fonctionnel, mais non dénué de soin : les contrastes sont nets, les éclairages industriels accentuent la froideur des hangars, et les scènes nocturnes sont baignées de ce noir dense typique des films de série B à petit budget, mais grande ambiance. On est loin du glamour hollywoodien.
Le son, pour sa part, ne joue pas la partition musicale traditionnelle. À la place, les effets mécaniques prennent le relais : le grondement des moteurs, les cris d’alarme, les vibrations métalliques du cockpit accentuent le climat anxiogène. Cela correspond au message sous-jacent du film : l’individu est pris dans un système mécanique, bureaucratique et militarisé, dont il ne contrôle plus les rouages. L’avion, symbole de liberté et de puissance dans les années 30, devient ici un piège, un engin où l’on meurt seul, en silence.
🔚 Bouclage
Non, Crack-Up n’est pas un chef-d’œuvre. Ce n’est pas The Maltese Falcon, ni même un des grands thrillers d’espionnage pré-1940. Mais ce n’est pas un film négligeable pour autant. C’est une capsule bien ficelée, une série B qui dit beaucoup avec peu de moyens, et qui trace déjà — mine de rien — la silhouette de ces thrillers paranoïaques qu’on verra fleurir après 1945.
Son efficacité réside dans sa concision (66 minutes chrono), sa tension constante, et cette manière d’insinuer la menace sans la nommer. On ne parle pas ici de nazis, ni de guerre imminente. Mais on sent le monde vaciller, les alliances se corrompre, les institutions s’embrumer. Un peu comme un pressentiment du monde à venir. Il y a dans ce film une atmosphère sourde, quasi kafkaïenne, où même les héros sont suspects.
Et puis il y a Peter Lorre. Rien que pour lui, Crack-Up vaut le détour. Il n’élève jamais la voix. Il ne brandit jamais d’arme. Et pourtant, il fait froid dans le dos. Le genre de performance qui s’imprime dans la mémoire, même quand le film s’efface.
Mike Rétro : “Des films comme ça, on les revoit pas deux fois pour le suspense. On les revoit parce qu’ils te rappellent que la trahison, c’est pas toujours un couteau dans le dos. Parfois, c’est un sourire en pleine lumière.”